Économie, travail, environnement : « S’installer en lait 100 % herbe, mon triplé gagnant »
Ce choix, Yoann Quiniou, qui élève des vaches laitières dans l’Orne depuis 2023, l’a réfléchi en fonction de ses convictions et de ses objectifs économiques, environnementaux, d’organisation et de temps de travail. Ce système lui permet de limiter drastiquement les charges et l’impact sur l’environnement, sans être esclave de son élevage, donc de s’épanouir dans son métier d’éleveur, d’autant que les premiers résultats sont encourageants. Le 4 novembre, accompagné par l’Institut de l’élevage, il a ouvert ses portes à une soixantaine d’étudiants de terminale et de BTS pour leur faire découvrir le fonctionnement des systèmes herbagers.
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Bientôt trois ans, en janvier 2026, que Yoann Quiniou s’est installé hors cadre familial sur la ferme du Bois à Juvigny-Val d’Andaine (Orne), en agriculture biologique et système 100 % herbager bovins lait. Depuis, il a choisi d’encore augmenter le pâturage et est passé en vêlages groupés de printemps, pour caler le plus possible la production laitière sur la pousse de l’herbe, du printemps à l’automne, là où elle est « la plus abondante », et « produire au moins 85 % du lait au pâturage » pour minimiser les coûts de production et assurer la rentabilité économique.
L’hiver, quand elle ne pousse pas, le jeune éleveur ferme la salle de traite. Objectif : se rapprocher « d’un mode d’élevage basé sur les cycles biologiques naturels » et sur « deux principes majeurs : la vache est un herbivore – son alimentation doit donc être composée au maximum d’herbe pâturée – et faire coïncider la disponibilité de la ressource herbagère avec les besoins des animaux ».
Motivations multiples
Des choix motivés par des raisons économiques d’une part. Yoann préférait limiter le capital à reprendre et les investissements à l’installation, donc les annuités d’emprunts, de même que les charges opérationnelles et de structures, afin de se dégager un « revenu agricole convenable », se « libérer de la pression permanente de résultat » et être « moins dépendant des cours des matières premières et de la volatilité des marchés », contrairement à d’autres modèles. Il a réduit en conséquence les moyens de production (bâtiments, matériels, équipements, stocks, consommations énergétiques).
Ainsi que les intrants (et les charges opérationnelles là encore) : achats d’aliments, consommation de fuel, etc. « Les animaux sont certes moins productifs », mais plus rustiques et moins sollicités, ils sont moins sujets aux maladies, d’où des frais vétérinaires moindres. Ses motivations sont aussi environnementales et sociétales. « Cette façon de travailler permet de répondre aux nombreux enjeux auxquels notre génération doit faire face et certainement les suivantes », juge le jeune installé en bovins lait : diminution de la biodiversité, dérèglement climatique, augmentation des maladies cardiovasculaires et des cancers…
Limiter le capital à reprendre et les investissements à l’installation.
« Les prairies pâturées permanentes conduites en AB sont, notamment grâce à la présence d’arbres, haies, vergers, cours d’eau, mares, etc., de vrais réservoirs de biodiversité et écosystèmes vivants », détaille-t-il, bénéfiques également aux exploitations : amélioration de la qualité de l’eau, de la fertilité des sols, stockage de carbone par exemple. Autre objectif visé : le bien-être de l’éleveur. « Je voulais un environnement sain et agréable pour vivre – la maison d’habitation est sur la ferme – et travailler, comme pour les riverains, et maîtriser la charge de travail pour ne pas être esclave de mon élevage », explique Yoann.
Son but : avoir du temps pour lui, sa famille, ses amis, les loisirs, les vacances plusieurs fois par an, les engagements pro et perso… « Moins de dépendance vis-à-vis des éléments extérieurs non maîtrisables » allège, en outre, la charge mentale. « Grouper les vêlages saisonnalise, rationnalise donc simplifie l’organisation du travail », met-il en avant. À chaque période de l’année, une tâche prioritaire : vêlages et soins aux veaux, récoltes, reproduction, tarissement, etc. Un moyen d’être « plus efficace et performant », considère-t-il. En arrêtant la traite l’hiver, il espère « se former, prendre du recul pour analyser les résultats, réfléchir à de nouveaux projets ».
Des conditions de réussite
Pour répondre à ses différentes attentes, Yoann Quiniou a identifié plusieurs conditions préalables. Tout d’abord : « bien choisir l’élevage à reprendre. » C’est-à-dire, selon lui : avec « des parcelles groupées et 0,2-0,3 ha/VL minimum accessible au pâturage (sachant qu’il vise plutôt 0,5-0,6 ha/VL), dans une zone pédoclimatique favorable à la pousse de l’herbe, où les températures estivales ne sont pas trop hautes, les pluies régulières, les sols de bonne qualité agronomique et portants », et avec un prix de reprise raisonnable, donc la majeure partie voire la totalité des terres en location, ainsi que le bâtiment.
Toujours d’après lui, ce qui conditionne ensuite la réussite de l’installation en système 100 % herbe : pouvoir mettre en œuvre le pâturage tournant dynamique. Il convient d’aménager le parcellaire : chemins d’accès, abreuvement, clôtures. « S’il y a à investir, c’est ici !, lance-t-il. Tout est basé sur le pâturage, il doit être fiable, rationnel, performant. » Sa gestion doit être maîtrisée pour que le troupeau ait toujours une « herbe de qualité optimale » avec des « coûts alimentaires imbattables ».
Il s’agit également de grouper les vêlages rapidement. Le cheptel doit cependant s’adapter, ce n’est pas instantané et il faut parfois réformer les animaux qui ne s’habituent pas. « Sur l’exploitation, ils étaient déjà concentrés sur 6 mois, entre février et août. Pendant mon stage de parrainage, j’ai eu la main sur la reproduction et j’ai gagné une année sur la mise en place du groupage. Un an après m’être installé, la majorité des naissances avait lieu entre le 1er février et fin avril. Aujourd’hui, je fais vêler environ 70 vaches du 10 février au 5-10 avril », commente Yoann.
Les clés de ce système : la maîtrise de la reproduction et du pâturage.
L’adaptation du troupeau s’appuie sur une sélection par voie femelle, qui revient à élever des génisses de renouvellement déjà rôdées à cette pratique, puis sur une sélection par voie mâle via des taureaux de races s’y prêtant, dotés d’une bonne fertilité. Il importe de « prévoir suffisamment de génisses les premières années pour anticiper les réformes ou d’acheter des animaux de génétique adaptée », complète-t-il insistant : « La période de reproduction est la plus cruciale de l’année ! La maîtrise de la repro et du pâturage est la clé de ce système. »
Triple performance : économique, humaine, environnementale
Les premiers résultats sont encourageants. Économiquement, la ferme du Bois est parvenue à contenir les charges opérationnelles, de structures, de mécanisation, les frais véto et le coût à l’hectare de SFP. Ces derniers sont nettement inférieurs aux exploitations conventionnelles du Grand Ouest, qu’elles aient plus ou moins de 30 % de maïs dans la SFP, aux fermes bio et même aux élevages du groupe herbager Pathways (1) (sauf pour le coût à l’hectare de SFP mais les charges opérationnelles sont trois fois plus faibles, les charges de structures et de mécanisation 1,5 fois).
De 2023 à 2024, les charges opérationnelles, le coût à l’hectare de SFP et les frais véto ont même encore diminué. Le coût alimentaire atteint 56 €/1 000 l en 2023 – la moyenne observée au sein du groupe Pathways – et 53 €/1 000 l en 2024, il est divisé par 2,5 par rapport aux conventionnels avec plus de 30 % de maïs dans la SFP. Cependant, après une première année satisfaisante niveau EBE et revenu, la deuxième a été un peu plus compliquée, en raison de la météo et du changement de système (notamment le passage en monotraite intégrale) qui ont fait baisser la production laitière. Des performances économiques fluctuantes fréquentes juste après l’installation, d’autant plus lorsqu’on est en transition comme Yoann.
(1) « Le projet européen Pathways (2021-2026) explore différentes trajectoires de transition pour les filières animales en Europe, afin de renforcer d’ici 2050 la cohérence entre production, durabilité, qualité des produits et attentes sociétales. Dans ce cadre, l’Institut de l'élevage accompagne un groupe d’éleveurs laitiers herbagers dans l'organisation de journées portes destinées à présenter leurs performances économiques et environnementales, et promouvoir l'intérêt des systèmes laitiers basés sur l’herbe aux jeunes en formation agricole. En novembre, Yoann Quiniou a ainsi accueilli une soixantaine d’élèves de terminale et BTS agricoles.
Sur le plan environnemental, le jeune producteur peut être satisfait : au regard des autres groupes d’élevage, son exploitation stocke 0,63 kg éq CO2/l de lait, en particulier dans les prairies permanentes, et son empreinte carbone n’est que de 0,42 kg éq CO2/l de lait. Elle utilise, par ailleurs, très peu d’azote : 40 kg/ha de SAU contre 60 pour les herbagers, 90 pour les bio, 160 pour les conventionnels à moins de 30 % de maïs dans la SFP et 190 pour les conventionnels à plus de 30 %. Pour produire 1 000 l de lait, la ferme du Bois consomme 11 l de fioul, 52 kWh d’électricité, 0 concentrés, engrais minéraux et produits phytos (voir ci-desous la comparaison avec les autres systèmes). Son autonomie protéique est de 100 %.
Côté travail, ça a été assez intense mais les évolutions en cours commencent à impacter positivement l’organisation, le confort et l’équilibre entre vie professionnelle et privée. Il y a encore pas mal de boulot pour aboutir au système souhaité, « mais c’est pour en avoir moins ensuite ! », relativise Yoann Quiniou qui a pu embaucher 0,8 UMO salariée, ce qui apporte de la souplesse. Il fait régulièrement appel au service de remplacement pour les week-ends et congés. L’appui de sa compagne, Jeanne, est aussi précieux. Elle projette d’ailleurs de s’installer à court terme. Davantage d’anticipation et la planification des chantiers chaque semaine aident à mieux répartir les tâches selon les compétences et appétences de chacun, et à gérer les aléas et imprévus.
Au sein de l’équipe, le jeune producteur veille à la communication, via des échanges quotidiens, et au partage des décisions. « J’apprends à déléguer, mais la délégation de la gestion de l’herbe reste difficile ! », reconnaît celui qui a « tout de suite été attiré et convaincu par la cohérence de ce système à tous les niveaux ». Le jeune homme est « épanoui » dans son métier d’éleveur et y « trouve énormément de sens ». « J’ai envie de partager mon expérience et de montrer qu’il est possible de réussir son installation en lait 100 % herbe et de bien vivre sur une ferme à taille humaine très pâturante. Il est important de faire connaître ces modèles économes, rentables et vertueux », conclut-il.
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